Interview réalisée par Gilles Blampain et parue en Mai 2017 dans Blues Again

 

Il joue en solitaire mais il aime toujours rencontrer, partager, aller vers l’autre. Sur scène il varie les styles pour ne pas se répéter et toucher le cœur du public.

Que deviens-tu Buck ?
Je continue tranquillement mon chemin… Après m'être partagé des années entre Paris et Toulon, je suis aujourd'hui souvent à Lyon où vit ma compagne. C'est est une ville que j'aime beaucoup, je lui trouve un peu les avantages de Paris sans les inconvénients. Je vis principalement à Toulon mais quand je tourne pas mal, j'ai tendance à rayonner depuis Lyon qui est plus central et où j'apprécie de ne pas vivre seul. Je suis un Toulyonnais en fait !

 

Ton dernier CD Soul Confidence vient de paraître. Comment et où s’est fait l’enregistrement ?

J'ai beaucoup tourné après la sortie de mon double live en 2015, une belle année pleine de concerts et riches de rencontres. Mais se produire en solo a ses inconvénients car c'est toi qui fais tout, conduire, décharger, installer, jouer, démonter, recharger, le tout rarement suivi d'une bonne nuit de sommeil derrière et je me suis retrouvé avec le dos en vrac et ses conséquences invalidantes. Comme j'étais affaibli, l'hiver qui a suivi ne m'a pas loupé. Je n'ai émergé qu'en avril 2016. Mon année était foutue, je n'avais pas eu l'énergie pour la préparer. Par contre j'avais bien eu le temps de penser et j'avais quelques idées de chansons. J'ai donc réalisé qu'il était temps de faire un nouvel album et j'ai décidé d'y consacrer toute l'année.


J'ai écrit au printemps à Lyon et à Toulon, fait des maquettes en été tout en continuant à écrire et réécrire, puis enregistré en automne et on a mixé en hiver. Pour des raisons pratiques les prises ont été faites chez moi et le mixage en studio. Marc Poveda, avec qui je bosse depuis dix ans s'est occupé de tout ça. C'est le boulot d'une année qui est sur ce disque puisqu'il sort au printemps suivant. Je n'ai jamais autant travaillé un album.

 

Trouve-t-on cet album dans le commerce, et si ce n’est pas le cas comment se le procurer ?
Je ne suis toujours pas distribué, je n'ai jamais vraiment cherché à l'être, sauf à l'époque de mon premier quand j'étais encore innocent et ne connaissais pas la réalité du marché. J'ai même arrêté les plateformes de téléchargement. Je produis mes albums, ils sont en vente sur mon site et sur les lieux de concert.

 

Comment sont nées ces compositions ?
Comme toujours, de ce que je vis et observe, tout ce qui est en mesure de provoquer chez moi une émotion que je puisse mettre en mots et en musique. Mes Amours viennent toujours en premier évidemment et déclenchent le processus. Je me retrouve en état de sensibilité extrême et tout vient rapidement.


J'ai enfin pu sortir de l'histoire qui m'a obsédé au long des trois premiers albumsstudio et en démarrer une nouvelle. Elle occupe trois titres majeurs de l'album, ‘From Friday Seventeen To Sunday Nineteen Fifteen’, ‘Flo's Waltz’ et ‘Ginger Lady’. Ça fait déjà trois fameux indices, non ? J'ai aussi remarqué qu'il y a toujours quelqu'un sur notre chemin pour nous venir en aide lorsque nous traversons une épreuve et ça a donné ‘If I Could Use Some Charms’. Avoir assisté dans les rues de Paris à des scènes de rupture très violentes par téléphone m'a inspiré ‘Breakin' Up On A Cellphone’. C'est un thème très actuel et il m'a inspiré le morceau le plus roots de l'album. Je travaille sur un projet de vidéo-clip pour ce titre. Mon amour pour les nations amérindiennes est toujours présent avec l'instrumental ‘Wounded Knee’ que j'ai enregistré alors que les Sioux se battent encore contre le pipeline qui traverse leurs terres. Je voulais faire ‘They Call Me Magic Buck’ depuis très longtemps. J'avais du mal à écrire ma profession de foi pour le blues et j'y suis enfin parvenu. Je suis fier de ce morceau, toute ma démarche est dans ses trois couplets.


Je suis arrivé à un âge où pour plein de raisons différentes on est amené à considérer ce qu'on a vécu, fait, construit, avec le questionnement que ça induit et ça a donné ‘Destiny’. ‘Heart Stealer’ me tient particulièrement à cœur (haha, j'ai pas fait exprès) car c'est un morceau écrit pour les PoOlettes, une asso de filles très dynamiques qui militent dans l'Est de la France pour le don d'organe. Je l'ai écrit pour leur prochaine compilation et me suis tellement pris au jeu que je l'ai inclus dans l'album, ce qui me permet de parler sur scène de leur action. Enfin, j'aime concevoir mes albums comme des œuvres et je les termine toujours par un morceau habité, plus produit que le reste, pour t'emmener en transe, le bouquet final en quelque sorte. Ici c'est ‘The Book of L & L’ qui reprend le thème de l'album précédent (Love & Light, ma devise) pour le développer plus loin encore. Une manière également d'établir une continuité de disque en disque. J'y joue de plusieurs instruments et j'ai invité Olivier Ingargiola, un excellent batteur et frère de route dans un ancien projet parallèle. Il fait des percussions sur cajón et derbuka, je voulais une ambiance un peu indienne et orientale, des sons qui m'attirent.

 

On ne peut pas ne pas parler de tes guitares, présente-nous ces demoiselles… Leur histoire, tes préférences (si tu en as), comment tu les choisis en fonction des chansons…

J'ai mis la main l'été dernier sur cette National Style O de 1930 qui malgré son grand âge semble restée une demoiselle car je suis peut-être son premier. J'avais fini par penser que jamais je ne pourrais avoir une guitare pareille et puis l'occasion s'est présentée. C'est un instrument fantastique bien plus confortable que ma Duolian. Elle a décuplé mon inspiration et m'a permis de terminer certains thèmes inachevés. D'ailleurs je n'ai jamais mis autant de slide et si peu d'harmonica sur un album, même mon Tabourin se fait assez discret. Par contre j'ai eu le plaisir de pouvoir enfin y jouer de la basse, qui est mon premier instrument. J'ai utilisé ma bonne vieille Rickenbacker 4001 qui est précisément d'août 78. Les autres guitares que j'emploie sur scène sont la Gibson L-00 et l'Ibanez 12 cordes que je joue depuis mon premier album. La Gibson est une réédition du modèle d'avant-guerre faite en 95, je l'ai ramenée d'un séjour à Chicago. L'Ibanez date du début des années 80, rien d'exceptionnel mais c'est une excellente 12 cordes qu'un copain m'avait donnée. C'était une épave et mon luthier toulonnais Bruno Perrin me l'a entièrement refaite. Les chansons viennent naturellement en improvisant des trucs sur chacune de mes guitares quand je suis inspiré. Ensuite j'essaie toujours de varier au maximum les styles pour avoir un répertoire aéré, tant sur disque qu'en concert.

Après une pause de quelques mois, tu vas repartir sur les routes pour donner des concerts à travers la France. Combien de gigs par an ? Les rendez-vous importants ?
Oui, je joue d'abord un peu vers chez moi pour me chauffer, puis je repars cet été, je vais passer par le Centre, rester en Bretagne en juillet, faire plein de petits lieux sympas, quelques clubs et petits festivals, pas forcément estampillés blues. Les dates sont déjà sur mon site et il en arrive de nouvelles. L'idéal est d'arriver à faire une cinquantaine de concerts dans l'année. Je n'ai pas de gros trucs prévus pour l'instant, ce sera pour l'an prochain. Mais tu sais, chaque rendez-vous est important, du plus petit au plus grand, l'important est de toucher le cœur des gens.

 

En quoi la scène est-elle indispensable ? 
Tout d'abord parce que c'est là que je gagne ma vie. Ensuite et c'est essentiel, parce que c'est uniquement là que je peux donner ce que j'ai et avoir le retour du public. C'est avec lui que je souhaite partager ce que je chante et joue. Mon moment préféré est la fin, quand c'est à mon tour de rencontrer les gens, l'échange devient encore plus intime. C'est pour ça que j'écris mes propres blues. Je ne me vois pas faire autrement.

 

Quelle a été ta plus belle expérience de scène au fil de toutes ces années ?
Je ne sais jamais quoi répondre à ça. Je vis chaque concert intensément, je dirais donc le dernier car je reste dans sa vibration jusqu'au suivant. En l'occurrence, celui que j'ai donné au Comedia à Toulon pour la sortie deSoul Confidence le 7 avril, jour de mon anniversaire, donc double fête ! Une belle salle de théâtre pleine d'un public qui me suit depuis des années, attentif au moindre mot que je vais prononcer car il sait que je ne fais rien au hasard même si je suis en roue libre quand le concert a démarré. J'ai longuement préparé ce show, soigné la mise en scène, un vrai spectacle avec mes invités. Je ne fais pas souvent un truc pareil, donc je le savoure longtemps !

 

Tu es très engagé auprès du Café-Théâtre 7ème Vague à Toulon, parle-nous un peu de ce lieu.
Le 7ème Vague est un vrai petit théâtre associatif de 50 places à La Seyne-sur-Mer, juste à côté de Toulon, avec une histoire, une identité et une politique culturelle dédiée à la création. Ils proposent du théâtre, de la chanson, de la musique... Je m'y produis une ou deux fois par an et suis très lié avec l'équipe, il m'est arrivé de donner la main sur des spectacles. J'avais même essayé d'y mettre en place une programmation blues mais ça n'a malheureusement pas été l'affluence. Comme pour d'autres artistes du coin, c'est devenu mon laboratoire. J'y ai effectué plusieurs résidences, enregistré mon album live il y a deux ans et présenté le répertoire de Soul Confidence en octobre avant son enregistrement. Récemment il y a eu une mobilisation de l'équipe et des artistes, c'est une longue histoire mais je résume : le lieu a été menacé de fermeture par la ville, a résisté de fort belle manière grâce à un comité de soutien composé de l'équipe de bénévoles, son public et ses artistes, à tel point qu'il n'est plus menacé aujourd'hui et pourrait même être enfin aidé.

 

En dehors des concerts/tournées, as-tu d’autres projets pour les mois à venir ? 
Surtout prendre soin de moi parce que tout ça est extrêmement énergivore. Je dois observer certaines règles de vie depuis dix ans que je suis en rémission. Quand je fais le bilan, je vois que j'ai mis dix années avant de faire un deuxième album et que pendant les dix suivantes, j'en ai fait quatre. Il y a vraiment un "avant et après" cette maladie qui m'a fait prendre conscience d'énormément de choses. Je me sens beaucoup mieux depuis cette épreuve. Elle a transformé ma conscience. Je suis heureux de l'avoir traversée.

 

Tu as collaboré pendant un temps à une production musicale en direction des enfants, est-ce toujours d’actualité ? 
Oh non, c'est ancien. C'était justement pendant cette première décennie que je viens d'évoquer. Je réalisais des disques pour un chanteur, conteur pour enfants et l'accompagnais parfois en spectacle dans mon style, slide et harmonica. On a fait une dizaine de CD et tourné dans plusieurs pays. C'est ce qui m'a mené un mois à Madagascar en 1999 où j'ai composé mon instrumental ‘Ngoma’ que je joue toujours en fin de concert.

Est-ce qu’il y a un but que tu n’as pas encore atteint en tant que musicien ?
La célébrité. Mais ce n'en est plus un aujourd'hui, j'ai compris que ce n'était pas l'essentiel. Que l'important était d'être soi et de transmettre certaines choses, peu importe le nombre qui les reçoit du moment que les gens sont touchés.

 

Avec toutes ces activités trouves-tu encore des moments pour te poser, pour la famille, les potes, loisirs… ?
J'organise justement mes tournées autour de cette convivialité. Quand je me retrouve à l'autre bout du pays, j'ai toujours des amis ou de la famille chez qui me poser afin de souffler un peu. Un luxe et une qualité de vie que je ne pourrais pas me permettre si j'étais en groupe, ma liberté va au-delà de la scène. Je me réserve également des moments pour me retrouver avec mes enfants chez moi. Mes deux mariages sont loin maintenant mais j'ai trois enfants et me sens père avant tout.

 

Pour parler d’autre chose, quel est ton lieu de prédilection ? (un bar, un musée, un espace sauvage ou urbain… dans ta région ou dans le vaste monde)

La nature évidemment, les villes m'oppressent ! Forêt, montagne, campagne, mer, tant que c'est tranquille. Des endroits où on peut se passer d'électricité pour faire un peu de musique, entouré d'amis… Arrière-pays varois, Landes, Bretagne, Nièvre, plus récemment Haute-Loire, sont mes lieux de prédilection. J'ai une adresse dans chacun de ces coins et bien d'autres encore à force d'aller au-devant des gens. J'ai passé du temps comme ça l'an dernier, à réfléchir à mon album et faire les photos qui sont devenues celles de la pochette. Je ne voulais pas d'un paysage américain, ça n'aurait aucun sens. Je ne veux pas faire du revival, je chante ce que je vis là où je le vis et ça se passe aujourd'hui.

 

Tu m’avais dit un jour qu’en dehors de la musique ton passe-temps favori était d’écouter pousser les arbres, est-ce toujours le cas ?
Je suis heureux que tu t'en souviennes. Oui, j'aime cette image car je suis un contemplatif et un rêveur. J'aime écouter les gens aussi, quand on parle profondément, en quête de sens… Quand le silence se fait naturellement quand une personne prend la parole.

 

Quels ont été tes derniers coups de cœur musicaux ? 
Vintage Trouble en disque et Neil Young en concert à Lyon en 2016. Un artiste que j'adore depuis longtemps, j'ai tous ses albums mais c'était la première fois que je le voyais. J'aime sa constance, ses prises de risque, son engagement.

 

Quel serait ton rêve le plus fou ?
Tout recommencer… 
Mais je me contenterai de continuer dans la prochaine vie de mon Âme, j'ai confiance en elle.

 

Gilles Blampain – mai 2017